Documents biographiques

LE MANUSCRIT CLAIRAMBAULT

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f° 27-28 Villette à Pontchartrain.

Paris, 27 novembre 1617.

Schrenck, Albineana, p. 137-139, Correspondance p. 1377-1379.

« [...] je pense qu'il est du devoir de tous les gens de bien, chacun selon ce qu'il sait et connaît, d'exposer à la vue du Roi et de cette assemblée, ce qu'il aperçoit des maux qui sont dans cet État et des moyens d'y remédier. C'est pourquoi je n'ai point cru être hors de temps de proposer que ladite assemblée pourvoie par quelque article exprès au désordre et oppression publique qui survient en quelques provinces, des places et maisons particulières qui depuis le décès du feu Roi ont été fortifiées sans permission de la presque résignation et contre le droit des seigneuries et terres où elles sont assises.

L'on pourrait apporter de la négligence à ce règlement, parce que maintenant le respect du Roi contient tout, et que ceux qui possèdent de telles places s'abstiennent pour le présent en attendant le temps plus favorable de quelque trouble, lequel cependant ils avancent, en tant qu'en eux est, par menées secrètes, afin de ne demeurer point honteux et ruinés en l'inutilité de telles ouvres. Double utilité se pourrait tirer d'une telle réformation à savoir ès places et ès personnes, parce qu'en la démolition des places, qui d'elles mêmes sont en ombre et en haine à tous les ordres, reluirait la bonté, autorité et prévoyance de Sa Majesté. Et que les maîtres ou seigneurs de tels lieux en étant dépouillés prendraient sans doute des pensées et une conduite convenable aux demeures qui leur seraient licites, sans plus fonder leur attitude sur le rapt et concussion à quoi telles retraites illicites les convient, et selon leur capacité conserveraient plutôt leurs jours et lumières d'esprit au bien de la paix et du repos public nécessaire à leurs demeures privées et faibles.

Je sais bien, Monsieur, que d'abord vous jugerez que ma proposition générale ne tend qu'à une application particulière et contre un particulier et qu'ainsi vous la pourrez imputer à une malice profonde enracinée contre quelque personne et quelque place, en qui toutes les circonstances susdites se rencontrent et par lesquelles on les pourrait certainement désigner. Mais je vous supplie, avant que d'asseoir jugement, lisez tout et sans préjugé, s'il vous plaît. Il est vrai qu'il y a plusieurs années que je vois à mon grand regret monsieur d'Aubigné mon beau-père s'enfoncer dans la perdition par les voies de la brouillerie et par une trompeuse prévoyance et opinion qu'il a toujours eue du bouleversement et dissipation inévitables de cet État, j'oserai dire aussi par un instinct naturel qui le porte aux choses nouvelles et violentes, et aussi par la nature de son petit gouvernement qui semblait lui promettre de grands avantages sur ses voisins en cas de guerre civile. Je connais que cette place qu'il a bâtie et fortifiée l'entretient autant en cette mauvaise humeur qu'aucune autre circonstance de son être et de sa condition, et lui fait passer sa vieillesse en inquiétudes et desseins déréglés ; le rend odieux au pays, suspect au roi et aux principaux ministres du nombre desquels vous êtes. Je manquerais donc tout ensemble et au devoir de fils ou de gendre et à celui de bon français et serviteur du roi si je ne tâchais par tous moyens de lui faire perdre ceux qui le flattent en son erreur et l'attachent à la poursuite de son mauvais procédé. J'y ai toujours travaillé comme je fais encor avec la piété que les enfants doivent à leur pères quels qu'ils soient. Mais autrefois, ç'a été en tâchant de changer son humeur et lui faire goûter le bien du service du roi par les faveurs et bienfaits de Sa Majesté, en quoi j'ai eu Monsieur de Villeroy pour aide puissante et telle que mon dit sieur d'Aubigné ne saurait désavouer les fruits qu'il en a reçus, lesquels fruits ayant mal germé en lui et produit des rébellions au lieu de services, à la vérité je suis maintenant contraint par naturel et par conscience de solliciter qu'on le tire de cette terre [f° 28 v°] qu'il a nouvellement remuée, en espérance qu'étant trans[planté ?] il fructifie en bien ou devienne stérile et toujours hors de [pouvoir ?] de crime et en repos, faisant en cela vers mon père ce que font plus souvent les pères à leurs enfants, leur faisant du bien malgré eux et contre leur appétit. Aussi me promets-je, Monsieur, que quand vous aurez approuvé et fait goûter cette ouverture générale, vous voudrez en ce qui est de l'exécution particulière sur le fort du Dognon, faire [suivre ?] au roi les voies les plus douces et les moins participantes de rigueur et de mépris.

Je vous supplierai encore, Monsieur, de ne mettre point [cet] avis à nonchaloir et de vous vouloir souvenir que ce petit recoin de terre, pour être gouverné par un esprit factieux et passionné, a attiré dans le Poitou l'armée de Monsieur le Prince et donné le branle aux armes qui se levèrent [en] cette province-là, d'où à la faveur de cette pièce et de quelques autres à sa dévotion, Monsieur le Prince traita de paix comme de pair avec l'autorité royale. Personne n'a plus de connaissance que vous, Monsieur, de ce qui se passa lors et de ce que chaque particulier y a contribué de bien et de mal. C'est pourquoi je ne vous importunerai point davantage sur ce sujet, seulement vous supplierai je en toute humilité de croire que je ne suis poussé à ce que je fais et dis que d'un sentiment d'homme de bien envers tous et que particulièrement je suis, Monsieur.»










                                     
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